THÈSE DE JEAN GOSSET
Notice sur les travaux en cours (1941)
THÈSE PRINCIPALE : « EXPLICATION ET SINGULARITÉ »
À l’explication proprement scientifique (connaissance du général suivant Aristote), on oppose depuis Cournot l’explication historique qui concerne les faits singuliers. L’idée directrice du travail envisagé consiste, tout en établissant solidement la valeur scientifique de la connaissance de l’individuel, à utiliser la notion de singularité pour relier l’un à l’autre les deux types d’explication. Après avoir montré que l’explication scientifique consiste essentiellement à déterminer des structures, on fera apparaître celles-ci d’une part, et de l’autre l’aspect intelligible de l’individualité, comme deux spécifications de la singularité, l’une sur le plan des notions, l’autre sur le plan des événements et des êtres.
POINTS À ÉTUDIER
- 1. Travail préliminaire : analyse et enquête psycho-sociologique sur l’explication : le besoin d’explication, les problèmes, le sentiment d’intelligibilité.
- 2. Exposé critique de la théorie « analytique » de l’explication scientifique (réduction à l’identité des éléments ou d’un terme constant) :
a) dans la théorie épistémologique (MEYERSON, LALANDE, etc.)
b) dans la représentation que se font les savants de leur propre travail : l’explication analytique comme « mythe scientifique », comme idéal proposé à la recherche (LOEB, la psychologie de TAINE, etc.)
c) dans le travail scientifique lui-même : étudier par un contact direct avec ce travail, et grâce à une information puisée auprès des chercheurs et dans les laboratoires mêmes, quelle est la portée de l’explication par réduction, et quelles en sont les limites. - 3. L’aspect « synthétique » de l’explication et ses diverses formes.
a) explication du simple par le complexe (l’étude des protozoaires éclairée par celle des métazoaires, etc.)
b) explication des parties par le tout ; notion de finalité interne (cf. KANT ; LACHELIER ; BERGSON ; etc.) ; l’« explication fonctionnelle » chez CLAPARÈDE et la distinction entre « expliquer » et « comprendre » d’après CLAPARÈDE et JASPERS.
c) explication par les structures. - 4.La notion de structure .
a) Recherche d’une classification des structures, destinée à en préciser la notion. Étude des structures spécialement dans les sciences physiques : stéréochimie ; théorie atomique ; cristallographie ; « modèles mécaniques » ; etc. – Voir aussi les autres sciences : biologie (par exemple la répartition des gènes dans les chromosomes – la notion de structure en histologie : cellules, tissus.), psychologie.
b) Rapports entre éléments et structures. La notion d’élément et sa relativité ; exemples à prendre dans la théorie atomique (voir déjà la notion d’[élément] dans l’atomisme antique) : caractère provisoire des éléments derniers admis par les physiciens ; et dans la psychologie de la perception : évanouissement de l’« élément » dans la Gestalttheorie.
c) Les interprétations de la notion de structure ; examen critique des travaux de GONSETH, H. METZGER, CESARI, et surtout de RUYER et de la Gestalttheorie (KÖHLER, etc.). Il y aurait probablement lieu de critiquer, dans cette dernière école, d’une part la notion exclusivement spatiale de la structure, sinon même exclusivement matérielle (voir si les lois scientifiques n’établissent pas des systèmes de relations entre paramètres qui ont les caractères distinctifs des structures), – d’autre part une interprétation trop empirique et parfois peu claire ; on rechercherait une notion plus abstraite de la structure, et aussi plus rigoureuse, en reprenant par exemple les expériences classiques de psychologie commencées par KÖHLER, WERTHEIMER ? etc., pour établir plus nettement le lien entre relations et structures.
d) Portée explicative de la notion de structure, à étudier directement sur le travail scientifique lui-même (comme ci-dessus §2c, et corrélativement). Limites : l’immédiat ; le point de vue statistique ; l’individuel. - 5. L’explication historique.
a) « Méthode des séries », en archéologie ; en histoire de l’art, en histoire littéraire, etc. ; en psychologie individuelle ; en paléontologie…
b) Explication causale. La « cause » en histoire de l’art, en histoire littéraire, etc. ; en psychologie individuelle ; en paléontologie…
c) Examen des tentatives de « réduction analytique » de l’explication historique ; des essais de détermination de « lois historiques ».
d) Limites de l’explication causale ; critique de la notion de finalité ; convergence et diffusion des influences : complémentarité de l’explication par les causes et de l’explication par les conséquences. La cause n’est pas plus explicative de l’effet que l’effet de la cause. - 6. La notion de singularité.
a) Dégagement de l’aspect intelligible de l’individualité : enquête sur les notions logique, physique, biologique, psychologique, sociologique, historique de l’individu, aboutissant à distinguer la notion de l’individu comme exemplaire d’un type, et celle de l’individu comme élément constitutif d’un tout additif ou structural, de la notion de l’individu comme être réel, comme singulier.
b) Critique de l’apparence empirique de la singularité (en quoi « cet homme », « ce morceau de bois », que je désigne, acquièrent de ce fait une singularité ; cette singularité est plus apparente que réelle).
c) Critique des définitions classiques de la singularité (par le nombre infini des caractères – par une essence plus ou moins ineffable).
d) Détermination des critères de la singularité – Importance de ce problème de la « détermination des êtres » dans toute recherche scientifique ou philosophique (voir p. ex. comment on détermine la réalité de l’atome – de l’électron – du chromosome – etc.) - 7. Singularité, structures et êtres.
Établir que les structures répondent aux critères distinctifs de la singularité.
Déterminer en quoi elles se distinguent à ce point de vue, cependant, des êtres et des événements individuels.
J.GOSSET – professeur agrégé de philosophie au Lycée VENDOME (L & C)
20.4.41
Comments are closed.