Pas de 1er mai
par Jean GOSSET, Le Voltigeur Français n°13, 5 mai 1939
Il y a deux ans, Georges Izard faisait adopter par la Chambre un projet de loi par lequel le 1er mai devenait fête nationale. Cette année, nous ne savons pas, au moment où nous rédigeons cet article, ce qu’aura été le 1er mai, au moment où il paraîtra. Mais nous craignons en vérité, qu’il ne soit pas grand chose. Car le Comité National de la CGT a résolu de ne pas décider la cessation du travail pour lundi ; les Fédérations et Unions restent libres d’agir comme il leur plaira. Une pareille attitude ne peut se justifier que pour des raisons d’opportunité. Elles peuvent être ici de deux sortes. D’abord, le souvenir du 30 novembre pèse sur les décisions des dirigeants syndicaux ; leur échec les incite à la prudence, et peut-être craignent-ils qu’une opposition patronale, peut-être même gouvernementale, intervenant, les syndiqués ne suivent pas le mouvement de grève et ne lui donnent pas son ampleur. Pourtant, les prétextes invoqués en novembre contre la grève « politique », puisqu’elle est dans la plus pure et la plus ancienne tradition syndicale, [ne sont pas valables] . Il reste, il est vrai, un second motif, qui n’est pas sans avoir été considéré par le Comité National Confédéral. En période de tension politique sérieuse à l’extérieur, il est normal d’hésiter à abandonner fût-ce une seule journée de travail : la défense nationale a besoin d’une activité incessante, et la grève pourrait donner des doutes sur la résolution avec laquelle est acceptée la résistance aux menaces des impérialismes totalitaires. Encore cet argument est-il un trop bon prétexte pour le patronat ; on sait quel usage peut en être fait pour des fins anti-ouvrières. Mais il est certain que, si une fois ces raisons tirées
de la situation extérieure et de la nécessité du prestige, ont eu un sens, c’est aujourd’hui dans la crise que nous traversons. Pourtant nous ne pouvons approuver complètement l’initiative du Comité National. Elle dépasse de loin ce qu’exigeaient les motifs qui l’ont déterminée : elle enlève à la journée du 1er mai son sens symbolique, elle prive la classe ouvrière de cette occasion de sentir sa force, de se rappeler ce que signifie son action. Il était peut-être facile de décréter la grève et d’en dispenser les entreprises travaillant pour la défense nationale ; on pouvait en tout cas verser le montant de la journée de travail à quelque caisse de solidarité internationale, bien choisie, il n’en manque pas. Autant que la grève du 30 novembre par sa précipitation et l’équivoque qu’elle comportait, la suppression du 1er mai nous paraît inconsidérée. Sans doute, on laisse les Unions et Fédérations faire la grève chacune pour leur compte, si elles le veulent. Mais il leur manquera l’énergie que donne une grande action collective. Sans doute on organise pour dimanche et lundi quelques manifestations ; nous craignons qu’elles paraissent inspirées par la timidité et la routine, et soient suivies sans enthousiasme. Mieux aurait valu peut-être une décision nette et courageuse, malgré ses dangers ; supprimer toute manifestation, en disant pourquoi. Ou plutôt encore des mesures comme celles que nous indiquons, qui auraient permis, sans risque sérieux de discorde ou d’échec, avec sagesse mais avec fermeté, de reprendre en mains la direction de l’action syndicale, de regrouper les militants et de leur rendre la confiance nécessaire. Réellement nous ne voudrions pas que la C.G.T. ait l’air d’avoir peur.
Jean GOSSET, Le Voltigeur Français n°13, 5 mai 1939
– Nous remettons au prochain numéro la suite de l’enquête sur l’orientation du syndicalisme, où nous comptons dire ce que nous a appris notre entretien avec Robert Lacoste.
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