Qu’attendre du syndicalisme ?
II Collaboration, formation des cadres.
Telles doivent être les lignes directrices de l’action syndicale prochaine. dit G. Lefranc
L’animateur du Centre Confédéral d’Éducation Ouvrière constate, depuis le 30 novembre, un certain désarroi dans la vie syndicale. La grève a été organisée, tactiquement, dans des conditions déplorables ; après avoir vu et répété que le Ministère Daladier agissait en gouvernement autoritaire, on a procédé comme s’il suivait une politique libérale et se montrait disposé à laisser faire la grève ; en pratique, on ne voit guère (pas même le 12 février 34), de grève générale réussir quand le gouvernement y est franchement opposé.
Depuis, on a beaucoup parlé d’une crise d’effectifs ; mais on a tort de tirer argument de cette baisse pour prétendre que la C.G.T. est en recul. Ceux qui sont partis parce qu’on a fait la grève, seraient aussi bien partis parce qu’on ne l’aurait pas faite. En réalité, ce recul d’effectifs n’est grave ni en soi ni comme symptôme : c’est un reflux naturel et inévitable après le développement anormalement rapide de 1936-1937. La progression du syndicalisme ne peut être continue. Sans doute, les causes immédiates de ce reflux sont claires : le mouvement ouvrier s’est cru, en 1936, sur le point d’assister à une transformation radical du régime social, à un changement profond de la condition des travailleurs ; il a été déçu en constatant que seuls des résultats partiels ont pu être obtenus. Par ailleurs, l’insuffisante assimilation des millions d’adhérents nouveaux est évidente et pose une grave question de cadres. Mais encore une fois cette régression n’a rien de surprenant ni d’inquiétant.
Depuis, on a beaucoup parlé d’une crise d’effectifs ; mais on a tort de tirer argument de cette baisse pour prétendre que la C.G.T. est en recul. Ceux qui sont partis parce qu’on a fait la grève, seraient aussi bien partis parce qu’on ne l’aurait pas faite. En réalité, ce recul d’effectifs n’est grave ni en soi ni comme symptôme : c’est un reflux naturel et inévitable après le développement anormalement rapide de 1936-1937. La progression du syndicalisme ne peut être continue. Sans doute, les causes immédiates de ce reflux sont claires : le mouvement ouvrier s’est cru, en 1936, sur le point d’assister à une transformation radical du régime social, à un changement profond de la condition des travailleurs ; il a été déçu en constatant que seuls des résultats partiels ont pu être obtenus. Par ailleurs, l’insuffisante assimilation des millions d’adhérents nouveaux est évidente et pose une grave question de cadres. Mais encore une fois cette régression n’a rien de surprenant ni d’inquiétant.
Plus sérieux est l’affaiblissement du moral des militants, de leur combativité, de leur foi. Peut-être le mouvement syndical ne sera-t-il plus capable d’une nouvelle action offensive d’ensemble avant un temps assez long, plus long que ne croient les impatients.
A l’origine de cette crise, il faut voir non pas tant peut-être les déceptions, imputables au Front populaire plutôt qu’à la C.G.T., que les divisions intérieures de celle-ci. Munich et les conflits qui en ont résulté, ne paraissent pas avoir fait diminuer les effectifs ; peut-être ces luttes constituent-elles pour beaucoup de syndiqués un élément d’intérêt propre à les retenir. Mais la crise latente depuis le congrès de Toulouse, aiguë depuis septembre, dont souffre l’unité intérieure du syndicalisme, paralyse l’action, même sur le plan social, et n’est pas étrangère à l’échec du 30 novembre.
Cette division ne paraît pas près de disparaître ; elle demeure très nette, et chacun à la C.G.T. prend clairement parti, sait de quel côté il est. On ne trouve guère d’indécis ; dans la mesure où il existait un « marais », il était formé surtout des nouveaux syndiqués de 36-37, et les uns, communisants, ont pris plus fermement position, les autres ont constitué une bonne part du contingent qui a quitté la C.G.T. après septembre et novembre. Ce conflit aigu et grave, qui ne comporte pas – sauf évolution brusque et inattendue – de solution prévisible, pourrait amener le mouvement syndical à restreindre le domaine de son action et à devenir plus apolitique.
A l’origine de cette crise, il faut voir non pas tant peut-être les déceptions, imputables au Front populaire plutôt qu’à la C.G.T., que les divisions intérieures de celle-ci. Munich et les conflits qui en ont résulté, ne paraissent pas avoir fait diminuer les effectifs ; peut-être ces luttes constituent-elles pour beaucoup de syndiqués un élément d’intérêt propre à les retenir. Mais la crise latente depuis le congrès de Toulouse, aiguë depuis septembre, dont souffre l’unité intérieure du syndicalisme, paralyse l’action, même sur le plan social, et n’est pas étrangère à l’échec du 30 novembre.
Cette division ne paraît pas près de disparaître ; elle demeure très nette, et chacun à la C.G.T. prend clairement parti, sait de quel côté il est. On ne trouve guère d’indécis ; dans la mesure où il existait un « marais », il était formé surtout des nouveaux syndiqués de 36-37, et les uns, communisants, ont pris plus fermement position, les autres ont constitué une bonne part du contingent qui a quitté la C.G.T. après septembre et novembre. Ce conflit aigu et grave, qui ne comporte pas – sauf évolution brusque et inattendue – de solution prévisible, pourrait amener le mouvement syndical à restreindre le domaine de son action et à devenir plus apolitique.
Une telle attitude comporte un risque de stérilité qu’il faut envisager.
Mais que faire en attendant de pouvoir organiser de nouveau une vaste action conquérante ? Ceux qui semblent rester partisans d’une action immédiate donnent à craindre que l’énergie ou la violence de leurs paroles cache la volonté très réelle de rester sur place. Certains milieux syndicaux pensent au contraire à s’orienter vers une politique de collaboration qui ne serait pas sans parenté avec celle qu’on a adoptée en Suède par exemple. Activité d’attente sans doute, mais qui peut être féconde si on sait la mener, si on veille n’en pas faire une « réconciliation des classes » qui mette la classe ouvrière en tutelle.
On peut espérer d’éléments patronaux assez nombreux, une suffisante compréhension de la dignité et des intérêts ouvriers. Sans cesser d’être sur ses gardes, sans croire qu’un Lambert-Ribot agirait en pratique comme un Detœuf, il faut constater que le patronat pourrait aujourd’hui agir suivant ses intérêts sans se ménager la collaboration d’un mouvement ouvrier en état de crise ; il provoquerait alors des troubles qui, à plus ou moins longue échéance, lui seraient néfastes ; mais qu’il se montre actuellement partisan d’une collaboration avec les syndicats doit faire admettre, – sans endormir notre vigilance et nous faire donner dans le mythe démagogique du « bon patron » – qu’il n’a pas les vues si courtes. Le grand problème va être de donner des cadres au syndicalisme. Le C.C.E.O. est naturellement tout désigné pour y contribuer.
On peut espérer d’éléments patronaux assez nombreux, une suffisante compréhension de la dignité et des intérêts ouvriers. Sans cesser d’être sur ses gardes, sans croire qu’un Lambert-Ribot agirait en pratique comme un Detœuf, il faut constater que le patronat pourrait aujourd’hui agir suivant ses intérêts sans se ménager la collaboration d’un mouvement ouvrier en état de crise ; il provoquerait alors des troubles qui, à plus ou moins longue échéance, lui seraient néfastes ; mais qu’il se montre actuellement partisan d’une collaboration avec les syndicats doit faire admettre, – sans endormir notre vigilance et nous faire donner dans le mythe démagogique du « bon patron » – qu’il n’a pas les vues si courtes. Le grand problème va être de donner des cadres au syndicalisme. Le C.C.E.O. est naturellement tout désigné pour y contribuer.
Mais, si son action est importante dans le cadre de la C.G.T., s’il travaille partout avec le concours des Unions locales et départementales, l’autonomie des Fédérations restreint l’étendue et surtout la portée des services qu’il peut rendre. Or il serait essentiel de donner aux militants une formation placée non seulement sur le plan de la culture générale et de l’action sociale dans son ensemble, mais sur le plan professionnel et technique ; une formation de dirigeants syndicaux adaptée aux conditions propres de leur corporation. Les conflits ne se posent pas toujours de même dans la métallurgie, le textile, le bâtiment, chez les fonctionnaires, les dockers, les mineurs… Seules, les Fédérations pourraient entreprendre ce travail de formation, d’un esprit voisin de celui du C.C.E.O., mais d’une orientation plus immédiatement pratique. Il est à souhaiter qu’elles le fassent. Malheureusement, les Fédérations, et surtout les plus importantes, ne semblent pas s’être encore beaucoup souciées de cette œuvre pourtant indispensable et urgente.
Il n’y a pas lieu d’être pessimiste, conclut Lefranc. Une œuvre déjà considérable – bien inférieure aux espoirs – a été réalisée en 1936. Maintenant il faut savoir accepter d’attendre et accomplir un travail interne, peut-être long, de préparation. Les dirigeants de la C.G.T., la plupart des militants, ne se sentent pas ébranlés par les difficultés actuelles. Ceux qui croiraient le syndicalisme réduit à l’impuissance se tromperaient gravement : il reste vivant et on peut très fermement se fier à lui.
Il n’y a pas lieu d’être pessimiste, conclut Lefranc. Une œuvre déjà considérable – bien inférieure aux espoirs – a été réalisée en 1936. Maintenant il faut savoir accepter d’attendre et accomplir un travail interne, peut-être long, de préparation. Les dirigeants de la C.G.T., la plupart des militants, ne se sentent pas ébranlés par les difficultés actuelles. Ceux qui croiraient le syndicalisme réduit à l’impuissance se tromperaient gravement : il reste vivant et on peut très fermement se fier à lui.
Jean GOSSET, Le Voltigeur Français n°12, 5 avril 1939
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